Propriétés spectrales de l’opérateur de Laplace–Beltrami (Jean-Marc Bouclet)

1) Généralités

Soit \((M^n,g)\) une variété riemannienne. On se donne une carte locale :
\[
\begin{array}{ll}
M\supset U \to \mathbb{R}^n \\
m \mapsto (x_1(m), \ldots,x_n(m))
\end{array}
\]
et on écrit la métrique en coordonnées locales dans \(U\) comme \(g = \sum_{i,j=1}^n g_{ij} dx_i dx_j\) (la matrice \(\left(g_{ij}(x)\right)_{i,j}\) est une symétrique et définie positive en tout point \(x\in M\)).

\( M \) est munie d’une forme volume qui s’écrit en coordonnées locales :
\[
d\mathrm{vol}_g = \sqrt{\bar g} dx_1\wedge\ldots\wedge dx_n
\]
(où \( \bar g = \det(g_{ij})) \). Le laplacien de \( (M,g) \) est alors l’unique opérateur différentiel \( \Delta_g \) sur \( C_0^\infty(M) \) qui vérifie
\[
-\int_M (\Delta_g \varphi)\psi d\mathrm{vol}_g = \int_M \langle \nabla_g\varphi, \nabla_g\psi\rangle d\mathrm{vol}_g
\]
pour toutes \( \varphi,\psi \in C_0^\infty(M) \). Ici \( \nabla_g \) est l’opérateur gradient associé à \( g \), défini en coordonnées locales par :
\[
\nabla_g \phi = \left(\begin{array}{ccc}
g^{11} & \ldots & g^{1n} \\
\vdots & \ddots & \vdots \\
g^{n1} & \ldots & g^{nn}
\end{array}\right)
\left(\begin{array}{c}
\partial_{x_1}\phi \\
\vdots \\
\partial_{x_n}\phi
\end{array}\right)
\]
(ici \( (g^{ij}) \) est la matrice inverse de \( (g_{ij}) \)). On peut alors exprimer le laplacien en coordonnées :
\[
\begin{array}{ccc}
\Delta_g\phi &=& \frac 1{\sqrt{\bar g}} \sum_{i,j} \partial_{x_i}\left( g^{ij}\sqrt{\bar g} \partial_{x_j}\phi \right) \\
&=& \sum_{i,j} g^{ij} \partial_{x_i x_j}^2\phi + \text{termes d’ordre 1}.
\end{array}
\]
On appelle symbole principal de \( \Delta_g \) la fonction définie par
\[
p(x,\xi) = \sum_{i,j} g^{ij}(x) \xi_i \xi_j
\]
pour \( (x,\xi) \in T^*M \).

Réalisation autoadjointe

Dans la suite on considèrera un opérateur non-borné \( P \) défini sur un domaine \( D(P) \subset L^2(M,\mathrm{vol}_g) \) à valeurs dans \( L^2(M, \mathrm{vol}_g) \) qui est auto-adjoint et qui vérifie \( C_0^{\infty}(M) \subset D(P) \) et \( P|_{C_0^\infty} = \Delta_g \). La condition que \( P \) soit auto-adjoint signifie en particulier que pour toutes \( \phi,\psi \in D(P) \) on a
\[
(P\phi, \psi)_{L^2} = (\phi, P\psi)_{L^2}
\]
(c’est une conséquence de la définition du laplacien pour les fonctions lisses), et il s’y ajoute une condition de maximalité sur le domaine que l’on ne précisera pas.

Il peut exister plusieurs \( P \) ayant les propriétés ci-dessus (par exemple quand \( M \) est est l’intérieur d’une variété à bord on peut imposer des conditions de Dirichlet ou Neumann au bord qui donnent chacune une extension différente). Quand \( (M, g) \) est complète (en particulier si \( M \) est une variété fermée) l’extension auto-adjointe de \( \Delta_g \) à \( L^2(M, \mathrm{vol}_g) \)est unique.

Spectre de \( P \)

Le spectre \( \sigma(P= \) est défini comme le complémentaire dans \( \mathbb C \) de l’ensemble résolvant
\[
\rho(P) := \{ z\in\mathbb{C} :\: P – z\mathrm{Id}_{D(P)} \text{ est inversible} \},
\]
autrement dit \( \sigma(P) = \mathbb{C} – \rho(P) \). Quelques exemples :

  • Si \( M = \mathbb{R}^n \) on a \( \sigma(P) = [0,+\infty[ \) ;
  • Si \( M = \mathbb{T}^n := \mathbb{R}^n / (2\pi \mathbb{Z})^n \) on a \( \sigma(P) = \{ k_1^2 + \ldots + k_n^2 : (k_1,\ldots,k_n)\in\mathbb{Z}^n \} \) ;
  • Si \( M = \mathbb{H}^n \) (espace hyperbolique de dimension \( n\)) on a \( \sigma(P) = [ \frac{(n-1)^2} 4, +\infty [ \) ;
  • Si \( M = \mathbb{S}^n \) on a \( \sigma(P) = \{ k(k + n – 1) : k\in\mathbb{N} \} \).

En général on a le résultat suivant.

Proposition. Si \( M \) est une variété fermée alors \( \sigma(P) \) est une sous-ensemble discret infini de \( [0, +\infty [ \) et \( 0 < \dim\ker(P – \lambda\mathrm{Id}) < +\infty \) pour tout \(\lambda \in \sigma(P) \).

En pratique ceci signifie que l’on peut écrire \( \sigma(P) \) sous la forme :
\[
\sigma(P) = \{ \lambda_0 \le \lambda_1 \le \ldots \le \lambda_n \le \ldots \}
\]
avec \( \lambda_n \to +\infty \). Cette écriture sous-entend que chaque valeur propre est indiquée un nombre de fois égal à sa multiplicité \( \dim\ker(P – \lambda\mathrm{Id}) \).

Si deux opérateurs \( P,Q \) sur des espaces de Hilbert \( \mathcal H,\mathcal H’ \) sont entrelacés par une application unitaire \( U : \mathcal H \to \mathcal H’ \) (i.e. \( U \) est définie et inversible \( D(P) \to D(Q)\) et on a \( Q = U^{-1} P U \)) alors clairement \( \sigma(P) = \sigma(Q) \). En particulier, si \( F \) est une isométrie entre deux variétés riemanniennes fermées \( (M,g) \) et \( M’, g’\) alors \( U(f) = f\circ F \) vérifie les conditions ci-dessus pour les extensions auto-adjointes des laplaciens de \( M \) et \( M’ \) et il suit que ces derniers ont le même spectre.

2) Liens entre spectre et géométrie

Un premier lien entre spectre et géométrie est le fait que si \( M \) est fermée alors \( 0 \) est valeur propre de \( P \) et sa multiplicité est égale au nombre de composantes connexes de \( M \).

Y. Colin de Verdière a démontré que pour tout \( d \ge 3 \) et pour toute suite finie \( 0 = \lambda_0 \le \lambda_1 \le \ldots \le \lambda_N \) il existe une variété fermée \( M \) de dimension \( d \) telle que les \( N \) premières valeurs propres du laplacien de \( M \) soient exactement \( \lambda_1,\ldots,\lambda_n \).

Haut du spectre

On étudie les asymptotiques des grandes valeurs propres de \( P \) à travers la fonction de comptage :
\[
N(\lambda) := |\{ \lambda_j\in\sigma(P) :\: \lambda_j\le\lambda \}|
\]
(les valeurs propres sont toujours comptées avec multiplicités).

Formule de Weyl. On a
\[
N(\lambda) = \frac{\omega_n}{(2\pi)^n} \mathrm{vol}_g(M) \cdot\lambda^{\frac n 2} + R(\lambda)
\]
où \( n = \dim M \), \(\omega_n \) est le volume de la boule unité de \( \mathbb{R}^n\) et \( R(\lambda) = o(\lambda^{n/2}) \).

Les asymptotiques sur \( R(\lambda) \) peuvent être améliorées :

  • En général on a \( R(\lambda) = O(\lambda^{(n-1)/2}) \) (Lévitan, Avakumovic, Hörmander).
  • Si la mesure (pour la mesure de Liouville sur le fibbré tangent) des vecteurs tangents à des géodésiques périodiques est nulle alors on a \( R(\lambda) = o(\lambda^{(n-1)/2}) \) (Duistermaat–Guillemin).
  • Si les courbures sectionelles de \( (M,g) \) sont toutes \( < 0 \) alors on a \( R(\lambda) = O(\lambda^{(n-1)/2})/\log(\lambda) \) (Bérard).
  • .

Dans le cas de la sphère de dimension \( n \) on a
\[
N(\lambda_k) = \frac 2{n!}\lambda_k^{\frac n 2} + \frac 1{(n-1)!}\lambda_k^{\frac{(n-1)} 2} + O(\lambda_k^{\frac{(n-2)} 2}
\]
ce qui prouve que les estimées du premier point ci-dessus sont optimales en général (on remarque que toutes les géodésiques de la sphère sont périodiques de période \( 2\pi \)).

Références

Livres :

  • Marcel Berger, Paul Gauduchon, Edmond Mazet ; Le spectre d’une variété riemannienne, Springer LNM
  • Peter Buser ; Geometry and Spectra of Compact Riemann Surfaces
    Birkhauser
  • Isaac Chavel ; Eigenvalues in Riemannian Geometry,
    Academic Press
  • Michael Taylor ; Partial Differential Equations II (ch. 8)
    Springer
  • Maciej Zworski ; Semiclassical analysis, Graduate Studies in Math.

Surveys :

Video :

Prescription du spectre :

Lien avec le spectre des longueurs :