Ecole Thématique « Mathématiques et Philosophie Contemporaines » V

ECOLE THEMATIQUE

MATHEMATIQUES ET PHILOSOPHIE CONTEMPORAINES V

« Les mathématiques comme modèle »

28-30 juin 2017, Institut de Mathématiques de Toulouse, Bâtiment 1R2, Salle 207

 

Mercredi 28 juin 2017

10h30-10h45 : Accueil des participants (Hall de l’IMT)

10h45-12h15 : Damien Rössler (Oxford Mathematical Institute), Le schéma comme généralisation de l’anneau commutatif

14h-15h30 : Pierrot Seban (Univ. Paris 10, IRePh), L’aporie zénonienne du mouvement et le savoir mathématique

15h45-17h15 : Pierre Cassou-Noguès (Univ. Paris 8), Cavaillès et la philosophie en France : le modèle de la nécessité mathématique

 

Jeudi 29 juin 2017

9h-10h30 : Vincent Feuvrier (Univ. Toulouse III, IMT), Ensembles minimaux et films de savon

10h45-12h15 : Hourya Sinaceur (CNRS, IHPST), L’axiomatique et la philosophie: Kant, Hilbert, Vuillemin

14h-15h30 : Gianni Gastaldi (ETH Zurich), L’émergence de l’algèbre abstraite anglaise : conditions et limites du symbolisme en mathématiques

15h45-17h15 : Discussion Philosophie française et philosophie analytique des mathématiques : Marco Panza (CNRS, IHPST) et Jean-Michel Salanskis (Univ. Paris Ouest, IRePh). Modérateur : Brice Halimi (Univ. Paris Ouest, IRePh)

 

Vendredi 30 juin 2017

9h-10h30 : Marcello Bernardara (Univ. Toulouse III, IMT), Invariants algébriques en géométrie birationnelle

10h45-12h15 : Jean-Jacques Szczeciniarz (Univ. Paris Diderot, SPHERE), Philosopher dans les mathématiques

14h-15h30 : Pascal Bertin (Univ. Paris Diderot, SPHERE), Ordo ab chao : la pensée hausdorffienne de l’ordre

 

Organisation scientifique : Brice Halimi (Univ. Paris Ouest, IRePh), Sébastien Maronne (Univ. Toulouse III, IMT), David Rabouin (CNRS, SPHERE)

 

LIVRET DES RESUMES

Marcello Bernardara (Univ. Toulouse III, IMT), Invariants algébriques en géométrie birationnelle

Une des questions centrales en géométrie algébrique est celle de la classification des variétés par équivalence birationnelle. Il s’agit d’une relation qui identifie deux variétés qui sont isomorphes le long d’un ouvert de Zariski, ou, de manière équivalente, qui diffèrent par des lieux de dimension strictement plus petite. Une des approches le plus utilisées dans ce contexte est donnée par la construction d’invariants algébriques: il s’agit d’associer à toute variété une structure algébrique qui serait invariante dans une classe d’équivalence birationnelle donnée. Je donnerai des exemples classiques (Jacobiennes intermédiaires, 0-cycles) ou plus modernes (catégories différentielles graduées) de tels invariants et des résultats qu’on a pu en obtenir.
Référence : https://arxiv.org/abs/1612.02415

Pascal Bertin (Univ. Paris Diderot, SPHERE), Ordo ab chao : la pensée hausdorffienne de l’ordre

Hausdorff s’inscrit dans un courant de réflexion post-kantienne qui prend clairement chez lui la forme d’une pensée de l’ordre, et, plus spécifiquement, de la marge [Spielraum] d’ordonnancement possible. Si les premiers textes abordent la notion sous l’angle d’une épistémologie générale où elle joue un rôle de premier plan[1], l’assimilation par Hausdorff des travaux cantoriens va fournir à sa réflexion sur l’ordre l’outil d’exploration qui lui manquait pour qu’elle puisse véritablement prendre pied dans le champ mathématique. L’irruption de la théorie des ensembles marque en effet, dans l’économie générale de l’œuvre, le point de départ d’une bifurcation entre une voie encore très épistémologique[2], qui prolonge directement les réflexions antérieures et fait la part belle à des questions relatives au temps et à l’espace, et une voie proprement mathématique, marquée par des parutions essentiellement consacrées, dans un premier temps, aux ensembles ordonnés (ces deux voies coexisteront une dizaine d’années, la seconde prenant progressivement le pas sur la première). Cette bifurcation n’était cependant pas sans appel, et n’excluait absolument pas des échanges entre les deux pans de l’œuvre. Notamment, si la relation d’ordre constitue un outil bien adapté aux définitions du temps (c’est-à-dire, selon la perspective hausdorffienne, à l’explicitation de notre marge d’élucidation de la temporalité), elle achoppe par contre à rendre compte de l’espace –qui nécessite une relation « d’ordonnancement » plus générale. Nous verrons qu’il est possible de retrouver dans les textes mathématiques un écho de ces réflexions issues du corpus épistémologique. Ce faisant, nous explorerons certains croisements entre les deux pans de l’œuvre –et aborderons également, au passage, une étape clef sur la route qui a conduit Hausdorff à sa formulation des espaces topologiques. Nous nous réfèrerons essentiellement, dans cet exposé, aux ouvrages issus de la « Hausdorff Edition » [hausdorff-edition.de] qui publie, depuis 1996, les œuvres complètes de cet auteur si prolifique (notamment : Band I [Allgemeine Mengenlehre] et VII [Philosophisches Werk]). Nous nous appuierons également sur quelques extraits inédits du Nachlass.

Vincent Feuvrier (Univ. Toulouse III, IMT), Ensembles minimaux et films de savon

Le problème de Plateau standard peut se résumer de la manière suivante: étant donné un bord B, trouver parmi toutes les surfaces qui s’appuient sur ce bord, celles qui minimisent leur aire. De nombreuses techniques ont été introduites pour étudier ce problème depuis le début du XXème siècle, qui diffèrent essentiellement par: la façon de définir les compétiteurs (généralement il s’agit d’une notion affaiblie de surface), la fonctionnelle d’aire (idéalement, une généralisation de la mesure de Hausdorff) et la manière d’implémenter la contrainte topologique (« s’appuyer sur B »).

On s’intéresse ici au problème posé dans la catégorie des ensembles sans utiliser les notions affaiblies de Federer (courants) ou Almgren (varifolds). Cette formulation permet notamment de s’affranchir d’hypothèses de régularité supplémentaires telles que l’orientabilité ou même la rectifiabilité des compétiteurs, au prix de la perte de certaines bonnes propriétés dont peuvent bénéficier les versions affaiblies, notamment la semi-continuité inférieure de la fonctionnelle d’aire. Dans cet exposé, après quelques rappels sur les outils utilisés (distance et mesure de Hausdorff, rectifiabilité) j’introduirai les notions d’ensembles minimaux et les résultats connus de régularité. Si le temps le permet, j’essaierai d’expliquer comment un procédé d’approximation polyédrale inspiré de Federer peut être adapté à ce cas et permet de pallier au défaut de compacité de l’approche ensembliste pour obtenir des résultats d’existence de solutions.

Pierre Cassou-Noguès (Univ. Paris 8), Cavaillès et la philosophie en France : le modèle de la nécessité mathématique

Je voudrais dans cet exposé revenir sur la position et le rôle du thème de la nécessité mathématique dans la pensée de Cavaillès. Je m’attacherai d’abord à distinguer la nécessité que Cavaillès prête à l’histoire mathématique de la nécessité d’une démonstration mathématique. Deux conséquences importantes en découlent. D’une part, Cavaillès est alors conduit à une thèse très forte, et problématique, sur l’histoire mathématique, qui donne à celle-ci une sorte d’universalité. D’autre part (et ce sera le point le plus long de cet exposé) en examinant les philosophies des sciences contemporaines de Cavaillès, à la lumière des critères de Gödel pour l’objectivité des mathématiques, on voit que c’est cette nécessité de l’histoire mathématique, pour problématique qu’elle soit, qui permet à Cavaillès de donner une objectivité aux mathématiques en un sens fort immanente à l’histoire des mathématiques et sans recourir à la position d’une réalité idéale.

Je m’interrogerai pour finir sur les répercussions des thèses de Cavaillès à l’extérieur de la philosophie mathématique et la portée donc de ce modèle mathématique de la nécessité.

Gianni Gastaldi (ETH Zurich), L’émergence de l’algèbre abstraite anglaise : conditions et limites du symbolisme en mathématiques

Si le projet Lagrangien d’un fondement purement algébrique pour l’Analyse fut progressivement abandonné dans le Continent avec les œuvres de Gauss, de Fourier et de Cauchy, il fut autrement repris, poursuivi et renouvelé de l’autre côté de la Manche, motivant l’émergence de l’algèbre abstraite ou symbolique, à travers l’œuvre de mathématiciens comme Woodhouse, Babbage, Peacock, Gregory ou Boole. Parmi tous les aspects (mathématiques, logiques, politiques, institutionnelles, sociologiques, pédagogiques…) qui rendent ce processus riche du point de vue de l’historien et du philosophe des mathématiques, je me concentrerai sur le développement, de la part de ces mêmes mathématiciens, d’une théorie du signe mathématique en tant que « symbole », accompagnant les pratiques par lesquelles l’algèbre abstraite devait et pouvait se constituer comme telle. Une telle étude permet de révéler des conditions internes de cette pratique, à savoir que la dynamique de ce processus s’est trouvée guidée par la nécessité de surmonter la difficulté d’articuler une conception symbolique du signe mathématique avec l’utilisation difficilement contournable de signes numériques. D’une manière plus générale, il apparaîtra que l’attention donnée à la dimension sémiologique des pratiques mathématiques permet de déceler des catégories internes pour leur description, sans devoir les emprunter à d’autres disciplines ou champs du savoir (comme la logique ou les sciences cognitives). Enfin, dans la mesure où l’élaboration sémiologique des algébristes anglais se trouve à la base de l’émergence d’une logique mathématisée avec l’œuvre de Boole, son étude permet de suggérer un autre sens pour la logique formelle dans le cadre de la philosophie des mathématiques : non pas discours régulateur artificiel et externe, mais résultat et témoin d’une réflexion des mathématiciens sur les conditions sémiologiques de leurs propres pratiques.

Damien Rössler (Oxford Mathematical Institute), Le schéma comme généralisation de l’anneau commutatif

Le développement de la théorie des schémas par Grothendieck et ses collaborateurs au début des années soixante a souligné le fait que le langage de l’algèbre commutative est naturellement compatible avec la théorie des faisceaux. Nous allons passer en revue quelques exemples de ce phénomène et nous essayerons d’expliquer comment ils suggèrent la notion de schéma.

Dans la dernière partie de l’exposé, nous nous interrogerons sur la signification de cette compatibilité, qui peut apparaître comme un peu miraculeuse, en particulier parce qu’elle concerne l’anneau des nombres entiers, que l’on avait pendant très longtemps considéré comme étranger au langage de la topologie et de la géométrie.

Pierrot Seban (Univ. Paris 10, IRePh), L’aporie zénonienne du mouvement et le savoir mathématique

On essaiera de soutenir que contrairement à ce qu’énonce la réponse standard, les constructions mathématiques modernes et contemporaines (théorie des limites de séries convergentes, des ordinaux transfinis, de la composition ensembliste du continu…) ne constituent pas une solution, mais une simple reformulation des paradoxes de Zénon d’Elée contre le mouvement. On reviendra sur le lieu antique de la réception originaire des paradoxes pour tenter d’élucider les diverses notions d’ « infini » précisément en jeu, afin de reformuler en retour le problème dans le contemporain à l’aide des concepts d’objectivité corrélative et d’objectivité constructive tirés du travail de Jean-Michel Salanskis. On suggérera qu’un travail philosophique sur l’activité mathématique offre une meilleure compréhension du problème que la simple acceptation de ses résultats.

Hourya Sinaceur (CNRS, IHPST), L’axiomatique et la philosophie: Kant, Hilbert, Vuillemin

L’ambition de construire un système philosophique est ancienne mais l’expression et la notion de « philosophie scientifique » ou de « philosophie mathématique » voit le jour à la fin du XIXe siècle et s’affirme au début du XXe siècle. D’un côté les scientifiques cherchent un fondement et un statut philosophique débarrassé d’options métaphysiques; de l’autre les philosophes ont pour leur discipline le désir d’une rigueur propre, différente de mais égale ou comparable à la rigueur mathématique. Je vais étudier ce chassé-croisé dans le cas de la « mathématique critique », que Hilbert considérait accomplie dans l’axiomatique et la théorie de la démonstration et celui de la philosophie de l’algèbre de Jules Vuillemin, qui refuse d’abstraire la pensée, qu’elle soit philosophique ou scientifique, du cadre métaphysique qu’impose le fait de devoir faire des choix tant dans les axiomes que dans les principes retenus pour construire un système axiomatique versus philosophique. La théorie kantienne de la connaissance joue le rôle de référent ou de repoussoir dans les deux cas.

Jean-Jacques Szczeciniarz (Univ. Paris Diderot, SPHERE), Philosopher dans les mathématiques

  1. Est-ce nécessaire? Deux exemples topiques tirés de la CT.
    Concurrence théorique et pratique entre philosophie et mathématiques.
  2. Comment développer une telle réflexion philosophique?
    1. Philosophie « pure » et philosophie des mathématiques
    2. Questions ontologiques: topos élémentaires, topos de Grothendieck
  3. Réflexion et réflexivité. 4 exemples.

[1] L’ordre est alors à rapprocher de la « sélection cosmique » qui donne son titre à l’un des ouvrages clefs de la première période de production hausdorffienne : Le Chaos selon une sélection cosmique – Un essai d’épistémologie critique [Das Chaos in kosmischer Auslese – Ein erkenntniskritischer Versuch ; 1898]

[2] Et pas seulement, puisque Hausdorff était aussi dramaturge et poète…