Surfaces hyperboliques arithmétiques (Slavyana Geninska)

\( \def \RR{\mathbb{R}} \) \( \def \CC{\mathbb{C}} \) \( \def \ZZ{\mathbb{Z}} \) \( \def \QQ{\mathbb{Q}} \) \( \def \HH{\mathbb{H}} \) \( \def \vol{\mathrm{vol}} \) \( \def \tr{\mathrm{tr}\,} \) \( \def \bs{\backslash} \) \( \def \SO{\mathrm{SO}} \) \( \def \SL{\mathrm{SL}} \) \( \def \PSL{\mathrm{PSL}} \) \( \def \PSO{\mathrm{PSO}} \) \( \newcommand{\hilbert}[3]{\left(\frac{#1,#2}{#3}\right)} \)

Groupes Fuchsiens arithmétiques

On rappelle que si \( \Gamma\subset\PSL_2(\RR) \) est un sous-groupe discret, sans torsion et cocompact alors le quotient \( \Gamma \backslash \HH^2 \) est une surface hyperbolique (si \( \Gamma \) contient de la torsion on a en plus des singularités coniques). Ici on va construire des exemples explicites de tels sous-groupes \( \Gamma \).

Algèbres de quaternions

Dans toute cette section \( K \) est un corps (commutatif). On supposera que sa caractéristique est différente de 2.

Définition : Une algèbre de quaternions sur \( K \) est une \( K \)-algèbre \( A \) (associative, avec unité) telle que :

  1. \( \dim_K(A) = 4 \) ;
  2. \( A \) est simple (i.e. tout idéal bilatère de \( A \) est égal à \( 0 \) ou à \( A \) elle-même) ;
  3. Le centre \( Z(A) \) est égal à \( K \cdot 1_A \).

On dit aussi que \( A \) est une algèbre centrale simple de dimension 4 sur \( K \).

On peut donner une description plus explicite : si \( A \) est une algèbre de quaternions sur \( K \) il existe une \( K \)-base \( (1_A = 1, i, j, k) \) de \( A \) vérifiant \( i^2, j^2 \in K^\times = K^\times \cdot 1 \) et \( ij = -ji = k \). Si \( i^2 = a, j^2 = b \) on notera :
\[
A \cong \hilbert{a}{b}{K}.
\]
Cette notation n’est pas unique, par exemple
\[
\hilbert{a}{b}{K} \cong \hilbert{b}{a}{K} \cong \hilbert{-ab}{b}{K} \ldots
\]
et pour tout \( t \in K^\times \) on a \( \hilbert{a}{b}{K} \cong \hilbert{t^2a}{b}{K} \).

Exemples :

  • L’algèbre de matrices \( M_2(K) \) est une algèbre de quaternions sur \( K \) ; on a \( M_2(K) \cong \hilbert{1}{1}{K} \). Sur un corps algébriquement clos c’est la seule algèbre de quaternions (à isomorphisme près).
  • L’algèbre \( \mathcal H \cong \hilbert{-1}{-1}{\RR} \) est appelée algèbre des quaternions de Hamilton.
  • La sous-algèbre de \( M_2 \left( K(\sqrt a) \right) \) engendrée par les matrices :
    \[
    \left(\begin{array}{cc} \sqrt{a} & 0 \\ 0 & -\sqrt{a} \end{array}\right), \quad \left( \begin{array}{cc} 0 & b \\ 1 & 0 \end{array}\right)
    \]
    est une algèbre de quaternions de symbole de Hilbert \( \hilbert{a}{b}{K} \) (en particulier, si \( a\) est un carré on a \( \hilbert{a}{b}{K} \cong M_2(K) \)).

Définition : Soit \( A \cong \hilbert{a}{b}{K}\). Soit \( x = x_0 + x_1 i + x_2 j + x_3 k \in A \), on définit son conjugué
\[
\bar x = x_0 – (x_1 i + x_2 j + x_3 k),
\]
puis sa trace et norme réduites par :
\[
\tr(x) = x + \bar x = 2x_0,
\]
\[
n(x) = x \cdot \bar x = x_0^2 + a x_1^2 + b x_2^2 – ab x_3^2.
\]

On remarque que via le plongement \( \phi : A \hookrightarrow M_2(K(\sqrt a)) \) défini plus haut on a \( \tr(x) = \tr(\phi(x)), \, n(x) = \det(\phi(x)) \). En particulier ceci implique :

Théorème : Si \( A \) n’est pas une algèbre à division alors \( A \cong M_2(K) \).

Pour \( K = \RR \) il est facile de voir que les seules algèbres de quaternions sont \( \mathcal H \) (l’unique algèbre de quaternions à division) et \( M_2(\RR) \).

Ordres des algèbres de quaternions

Dans la suite on suppose que \( K \) est un corps de nombres, c’est-à-dire une extension finie de \( \QQ \). Un élément \( t \in K \) est entier (sur \( \ZZ \)) si il existe un polynôme \( P(X) = X^n + a_{n-1}X^{n-1} + \ldots \in \ZZ[X] \) tel que \( P(t) = 0 \). L’ensemble de ces éléments forme un sous-anneau de \( K \) (l’anneau des entiers de \( K \)), que l’on notera ici \( R_K \).

Un exemple impôrtant pour la suite est celui où \( K \) est un corps quadratique réel, \( K = \QQ(\sqrt d) \) avec \( d > 0 \) un entier sans facteur carré. L’anneau des entiers est alors :

  • \( R_K = \ZZ[\sqrt d] \) si \( d = 2,3 \pmod{4} \) ;
  • \( R_K = \ZZ\left[ \frac{1 + \sqrt d} 2 \right] \) si \( d = 1 \pmod{4} \).

En effet, si on note \( \overline{x + y\sqrt d} = x – y\sqrt d \), et pour \( x\in K \) on pose \( \tr(x) = x + \bar x \) et \( n(x) = x\bar x \), le polynôme minimal de \( x \) sur \( \QQ \) est \( X^2 – \tr(x)\cdot X + n(x) \) et \( x \) est donc entier si et seulement si \( \tr(x),n(x) \in \ZZ \). Il est alors facile de vérifier que les entiers sont ceux de la forme ci-dessus.

Définition : Soit \( A \) une algèbre de quaternions sur \( K \). Par analogie avec le cas des corps quadratiques on dit qu’un élément \( x \in A \) est entier si \( \tr(x), n(x) \in R_K \).

Contrairement à ce qui se passe dans le cas commutatif l’ensemble des entiers de \( A \) ne forme pas un sous-anneau (par exemples, si \( A = M_2(\QQ) \) et on considère
\[
x = \left( \begin{array}{cc} 1/2 & -3 \\ 1/4 & 1/2 \end{array} \right), \quad y = \left( \begin{array}{cc} 0 & 5 \\ 1/5 & 0 \end{array} \right)
\]
on voit immédiatement qu’aucun de \( x + y, xy \) n’est entier).

Définition : Un ordre \( \mathcal O \) de \( A \) est (définitions équivalentes) :

  • un sous-anneau de \( A \) dont tous les éléments sont entiers, contenant \( A \) et tel que \( K\mathcal O = A \).
  • un sous-\( R_K \)-module de \( A \) de type fini stable par multiplication, contenant \( 1 \) et tel que \( K\mathcal O = A \).

Exemples : :

  • Si \( A \cong \hilbert{a}{b}{K} \) avec \(a,b \in R_K \) alors \( \ZZ[i,j] \) est un ordre de \( A \) ;
  • \( M_2(\ZZ) \) est un ordre de \( M_2(\QQ) \).

Un ordre est dit maximal s’il n’est pas contenu strictement dans un autre ordre. Le lemme de Zorn implique facilement l’existence d’ordres maximaux.

Groupes fuchsiens arithmétiques

A partir de maintenant on impose que le corps \( K \) soit totalement réel : c’est-à-dire que si \( \sigma_1, \ldots, \sigma_r \) sont tous les plongements \( K \to \CC \) (il est facile de voir qu’il n’en existe qu’un nombre fini) alors on a \( \sigma_i(K) \subset \RR \) pour \( i = 1, \ldots, r \). Par exemple on voit immédiatement que les corps quadratiques réels sont totalement réels.

Soit \( A \cong \hilbert{a}{b}{K} \) une algèbre de quaternions sur \( K \) telle que :
\[
\hilbert{\sigma_1(a)}{\sigma_1(b)}{\RR} \cong M_2(\RR)
\]
et
\[
\forall i = 2, \ldots, r : \: \hilbert{\sigma_i(a)}{\sigma_i(b)}{\RR} \cong \mathcal H
\]
(on dit que \( A \) est ramifiée en \( \sigma_2, \ldots, \sigma_r \)).

Théorème : Soit \( \mathcal O \) un ordre de \( A \) et soit :
\[
\mathcal O^1 = \{ x\in\mathcal O : \: n(x) = 1 \}.
\]
On fixe un isomorphisme \( \phi : \: \hilbert{\sigma_1(a)}{\sigma_1(b)}{\RR} \overset{\sim}{\rightarrow} M_2(\RR) \). Alors le sous-groupe :
\[
\Gamma(\mathcal O) = \phi\left( \mathcal O^1 \right) / \{ \pm 1 \} \subset \PSL_2(\RR)
\]
est un réseau. Il est cocompact si et seulement si \( A \) est une algèbre à division.

Remarques :

  • Si on change l’isomorphisme \( \phi \) on obtient des groupes conjugués.
  • Si \( \mathcal O, \mathcal O’\) sont deux ordres dans \( A \) alors les sous-groupes \( \Gamma = \Gamma(\mathcal O) \) et \( \Gamma’ = \Gamma(\mathcal O’) \) sont commensurables, c’est-à-dire que \( \Gamma/(\Gamma \cap \Gamma’) \) et \( \Gamma’/(\Gamma \cap \Gamma’) \) sont finis.

Définition : Un sous-groupe \( \Gamma \le \PSL_2(\RR) \) est un groupe fuchsien arithmétique s’il existe \( A, \phi, \mathcal O \) comme ci-dessus tel que \( \Gamma(\mathcal O) \) soit commensurable à \( \Gamma \).

On remarque que si \( K \not= \QQ \) alors \( A \) est nécéssairement une algèbre à division (puisque \( A \otimes_{\sigma_2} \RR \) est une algèbre à division). Si \( \Gamma \) est un groupe fuchsien arithmétique non-cocompact il est donc commensurable à \( \PSL_2(\ZZ) \).

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