La construction de Vignéras (Slavyana Geninska)

\( \def \RR{\mathbb{R}} \) \( \def \CC{\mathbb{C}} \) \( \def \ZZ{\mathbb{Z}} \) \( \def \QQ{\mathbb{Q}} \) \( \def \HH{\mathbb{H}} \) \( \def \vol{\mathrm{vol}} \) \( \def \tr{\mathrm{tr}\,} \) \( \def \bs{\backslash} \) \( \def \SO{\mathrm{SO}} \) \( \def \SL{\mathrm{SL}} \) \( \def \PSL{\mathrm{PSL}} \) \( \def \PGL{\mathrm{PGL}} \) \( \newcommand{\hilbert}[3]{\genfrac{(}{)}{1pt}{}{#1,#2}{#3}} \)

On va expliquer (d’après Marie-France Vignéras) comment la construction de surfaces hyperboliques de la semaine dernière permet d’obtenir des paires de surfaces isospectrales. On cherche donc :

  • Un corps de nombres totalement réel \( K \) ;
  • Une algèbre de quaternions \( A \) sur \( K \) (ramifiée à toutes les places réelles sauf une) ;
  • Des ordres (qui seront maximaux) \( \mathcal O_1, \mathcal O_2 \) dans \( A \) ;

tels que :

  1. \( \Gamma(\mathcal O_i) \bs \HH^2 \) soient des surfaces hyperboliques compactes ;
  2. Elles soient isospectrales ;
  3. Elles ne soient pas isométriques.

Le point 2. est une conséquence du théorème suivant (que l’on n’expliquera pas ici) :

Théorème : Soient \( \mathcal O_1,\mathcal O_2 \) deux ordres maximaux dans une même algèbre de quaternions, que l’on suppose ramifiée à au moins une place finie. Les orbifolds \( \Gamma(\mathcal O_i) \bs \HH^2 \) sont isospectraux.

Le point 3. est une conséquence du critère suivant si l’on choisit des ordres maximaux \( \mathcal O_1, \mathcal O_2 \) qui ne soient pas conjugués par un élément de \( A^\times \) (on admet pour le moment que ceci est possible).

Proposition : Les orbifolds \( \Gamma(\mathcal O_1) \bs \HH^2, \Gamma(\mathcal O_2) \bs \HH^2 \) sont isométriques si et seulement s’il existe \( a \in A^\times \) tel que \( \mathcal O_2 = a \mathcal O_1 a^{-1} \).

Démonstration : Dans la suite on considère que \( A \subset M_2(\RR) \) via l’isomorphisme \( A\otimes\RR \cong M_2(\RR) \). \( \Gamma(\mathcal O_1) \bs \HH^2, \Gamma(\mathcal O_2) \bs \HH^2 \) sont isométriques si et seulement si il existe un \( g \in \PGL_2(\RR) \) tel que \( g \Gamma(\mathcal O_1) g^{-1} = \Gamma(\mathcal O_2) \) ; si \( \tilde g \) est un relevé de \( g \) dans \( \mathrm{GL}_2(\RR) \) alors on a \( \tilde g \mathcal O_1 \tilde g^{-1} = \mathcal O_2 \). Il faut donc voir que \( g \) est dans l’image \( \mathrm P A^\times \) de \( A^\times \) dans \( \PGL_2(\RR) \).
Pour ce faire on peut utiliser le théorème de Skolem–Noether, qui affirme que tout automorphisme de \( A \) est intérieur (i.e. la conjugaison par un élément de \( A^\times \)). En effet, en l’appliquant à l’automorphisme induit par la conjugaison par \( \tilde g \) on obtient immédiatement que \( g \in \mathrm P A^\times \). ■

Il reste à traiter le point 1. La compacité des quotients ne dépend que de ce que \( A \) soit une algèbre à division ou non ; en particulier, si \( K \not= \QQ \) c’est toujours le cas.

Le fait que \( \Gamma(\mathcal O) \bs \HH^2 \) soit une surface (et non un orbifold) suit de ce que \( \Gamma(\mathcal O) \) ne contient pas d’élément de torsion. Ceci est équivalent à ce que \( \mathcal O \) ne contienne pas d’élément de norme \( 1 \) d’ordre fini autre que \( -1 \) ; autrement dit, pour tout \( n \ge 3 \) il n’y a pas de \( x \in A \) tel que \( x^n = 1 \) et \( n(x) = 1 \).

Commençons montrer que pour \( n\not= 3,4,6 \) on peut choisir \( K \) tel que pour toute algèbre de quaternions \( A \) sur \( K \) ceci soit vérifié (on remarque que l’algèbre \( M_2(K) \) contient toujours des éléments d’ordre 4 et 6).

En effet, soit \( x \) tel que \( x^n = 1 \) ; quitte a multiplier \( x \) par \( -1 \) on peut supposer que \( n \) est pair, \( n = 2m \). Les facteurs irréductibles sur \( \RR \) du polynôme \( (X^{2m} – 1) / (X^2 – 1) \) sont les \( X^2 – 2\cos(k\pi/m) X + 1 \) et \( X^2 – 2\cos(k\pi/2m) X – 1 \) avec \( k \) impair. Il suit que \( x^2 – 2\cos(k\pi/m) x + 1 = 0\) pour un \( k \) premier à \( m \), quitte à remplacer \( x \) par une puissance on peut supposer que \( x^2 – 2\cos(\pi/m) x + 1 = 0 \). Il suit que \( \tr(x) = 2\cos(\pi/m) \) et donc que \( \cos(\pi/m) \in K \). On a \( m >3 \) et donc \( \cos(\pi/m) \not\in \QQ \), il existe donc une infinité de corps \( K \) tels que \( \forall m \ge 4, \, \cos(\pi/m) \not\in K \). On peut vérifier en particulier que \( K = \QQ(\sqrt{10}) \) convient.

Il reste à traiter les cas où \( n = 3,4 \). On veut trouver une algèbre \( A \) sur \( K = \QQ(\sqrt{10}) \) telle que les corps \( \QQ(e^{2i\pi/3}) \cong \QQ(\sqrt{-3}), \, \QQ(e^{i\pi/2}) \cong \QQ(\sqrt{-1}) \) ne se plongent pas dans \( A \). Pour ce faire on va utiliser des techniques locales, on aura besoin de la théorie des complétions non-archimédiennes de \( K \).

Valuations des corps de nombres

Définitions : Soit \( K \) un corps. Une valuations sur \( K \) est une applications \( v :\: K \to \RR_+ \) vérifiant les propriétés suivantes :

  1. Pour tout \( x \in K,\, x\not= 0 \) on a \( v(x) > 0 \) ;
  2. Pour touts \( x, y \in K \) on a \( v(xy) = v(x)v(y) \) ;
  3. Pour touts \( x, y \in K \) on a \( v(x + y) \le v(x) + v(y) \).

(On peut remplacer 1. par \( v(1) = 1 \).)

On dit que deux valuations \( v, v’ \) sur \( K \) sont équivalentes, noté \( v \sim v’ \), s’il existe un \( a > 0 \) tel que \( \forall x\in K : \: v'(x) = v(x)^a \).

On dit que \( v \) est non-archimédienne (ou ultramétrique) si elle vérifie la propriété suivante plus forte que 3. ci-dessus) :

  • Pour touts \( x, y \in K \) on a \( v(x + y) \le \max(v(x), v(y)) \).

On dit que \( v \) est archimédienne sinon.

Si \( K \) est un corps de nombres alors à équivalence près toutes ses valuations archimédiennes sont obtenues via un plongement \( \sigma :\: K \hookrightarrow \CC \) (la valuation associée à \( \sigma \) est définie simplement par \( v(x) = |\sigma(x)|\) où \( |\cdot| \) est la valeur absolue usuelle sur \( \CC \)). Deux telles valuations sont équivalentes si et seulement si les plongements sont conjugués.

Les valuations non-archimédiennes d’un corps de nombres \( K \) se construisent à partir des idéaux premiers de \( R_K \). On donne ici l’exemple de \( K = \QQ \).

Si \( p \in \mathbb N \) est un nombre premier et \( x \in \ZZ \) on peut définir \( n_p(x) \) comme le plus grand entier \( n \) tel que \( p^n \) divise \( x \) (avec la convention que \( n_p(0) = \infty \). On étend \( n_p \) à \( \QQ \) en posant \( n_p(x/y) = n_p(x) – n_p(y) \), et on définit enfin la fonction \( v_p \) sur \( \QQ \) par :
\[
v_p(x) = p^{-n_p(x)}.
\]
Alors \( v_p \) est une valuation non-archimédienne de \( \QQ \), et \( v_p \sim v_{p’} \) si et seulement si \( p = p’ \). De plus toute valuation non-archimédienne sur \( \QQ \) est équivalente à l’une des \( v_p \).

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