Propriétés spectrales de l’opérateur de Laplace–Beltrami II (Jean-Marc Bouclet)

\( \def \tr{\mathrm{tr}\:} \) \( \def \RR{\mathbb{R}} \) \( \def \ZZ{\mathbb{Z}} \) \( \def \eps{\varepsilon} \)(Suite de l’exposé de la semaine précédente.)

3) Formules de trace et spectre des longueurs

Formule de Poisson

Soit \( f \) une fonction dans l’espace de Schwartz \( \mathcal{S}(\RR) \), \( \hat f \) sa transformée de Fourier (définie par \( \hat f(t) = \frac 1 {2\pi} \int_{-\infty}^{+\infty} e^{it}f(t)dt \)). La formule de Poisson est l’égalité :
\[
\sum_{k\in\ZZ} f(k) = \sum_{l\in\ZZ} \hat f(2\pi l).
\]
On remarque que :

  • \( 2\pi\ZZ – \{0\} \) est l’ensemble des longueurs des géodésiques fermées du cercle \( \mathbb{T}^1 = \RR/2\pi\ZZ \) et de leurs inverses ;
  • \( \{k^2 :\: k\in\ZZ \) est le spectre de l’extension autoadjointe \( P \) à \( L^2(\mathbb{T}^1) \) du Laplacien \( -d^2/d\theta^2 \) ;

Si \( f \) est on fonction paire et on écrit \( f(\lambda) = F(\lambda^2) \) le côté droit de la formule de Poisson est donc égal à \( \tr F(P) \) (où \( F(P) \) est l’opérateur obtenu à partir de \( F \) et \( P \) par calcul spectral, i.e. il est défini par \( F(P)e_j = F(\lambda_j)e_j \) sur une base hilbertienne (e_j) diagonalisant \( P \)).

On rappelle la notation :
\[
N(\lambda) = |\{ j :\: \lambda_j \le \lambda \}|.
\]
La dérivée (au sens des distributions) de \( N \) est donnée par
\[
N'(\lambda) = \sum_{j\ge 0} \delta_{\lambda_j}
\]
(où \( \delta_\lambda \) désigne la masse de Dirac en \( \lambda \)) et on peut ainsi écrire :
\[
\tr F(P) = \int_{-\infty}^{+\infty} F(\lambda) N'(\lambda) d\lambda = \int_{-\infty}^{+\infty} F(\lambda) dN(\lambda).
\]
Une conséquence de la formule de Poisson est donc que la distribution sur \( \RR \) correspondant via la transformée de Fourier à la mesure spectrale \( dN \) a son support singulier sur les longueurs des géodésiques fermées sur \( \mathbb{T}^1 \). Ce dernier énoncé reste vrai pour des variétés riemanniennes plus générales.

Formule de Selberg

Soit \( S \) une surface de Riemann compacte de genre \( g > 1 \) munie de sa métrique hyperbolique (i.e. à courbure constante \( – 1 \)). Soient \( \lambda_j, j\ge 0 \) les valeurs propres du laplacien sur \( S \), que l’on écrira sous la forme :
\[
\lambda_j = \frac 1 4 + \ell_j^2, \quad \ell_j \in [i/2, 0] \cup [0, +\infty[.
\]
Pour une fonction \( f \) convenable (i.e. dans une classe de fonctions test) la formule des traces de Selberg est alors l’égalité :
\[
\sum_{j\ge 0} f(\ell_j) = (2g – 2)\int_{-\infty}^{+\infty} \rho \tanh(\rho) f(\pi\rho) d\rho + \sum_{\gamma\in\mathcal P} \sum_{m\ge 1} \frac{\ell(\gamma)}{2\sinh(m\ell(\gamma)/2)} \hat f(m\ell(\gamma))
\]
où :

  • \( \mathcal P \) est l’ensemble des géodésiques fermées de \( S \) ;
  • Si \( \gamma \in \mathcal P \) on désigne par \( \ell(\gamma) \) sa longueur ;
  • \( \hat f(t) = \int_{-\infty}^{+\infty} f(\rho)cos(t\rho) d\rho \).

En particulier, pour une telle surface \( S \) on voit que le spectre du laplacien et le spectre des longueurs :
\[
\mathcal L = \{ \ell(\gamma) :\: \gamma\in\mathcal P \}
\]
se déterminent mutuellement (ceci reste vrai pour une métrique « générique » sur une surface de genre supérieur, cf. Colin de Verdière).

4) Comment compter les valeurs propres/Elements de preuve de la formule de Weyl

On revient à la situation générale où \( M \) est une variété riemannienne fermée et \( \lambda_j, j\ge 0 \) le spectre de son Laplacien. On rappelle que \( N(\lambda) = |\{ j:\: \lambda_j \le \lambda \}| \). Si \( 1_I \) désigne la fonction caractéristique d’un intervalle \( I\subset\RR \) on peut écrire : \(N(\lambda) = \tr 1_{[0,\lambda]}(P) \). Comme on veut étudier les asymptotiques en \( \lambda \to +\infty \) on écrit \( \lambda = 1/h^2 \) et il vient :
\[
N(\lambda) = \tr 1_{[0,1]}(h^2 P).
\]
On veut étudier le côté droit via une formule des traces, mais la discontinuité de \( 1_{[0,1]} \) pose problème pour ce faire.

On introduit une approximation de l’unité \( \rho_\eps = \eps^{-1}\rho(\eps^{-1}\cdot), \eps>0 \) où \( \rho \) est une fonction de Schwartz sur \( \RR \) d’intégrale 1. On fixe aussi une fonction lisse, positive à support compact \( \chi \) valant 1 sur l’intervalle \( [0,1] \). Il vient alors :
\[
\begin{array}{ll}
\tr 1_{[0,1]}(h^2 P) &= \tr \left((1_[0,1] \cdot \chi)(h^2 P)\right) \\
&= \tr \left((1_[0,1]*\rho_\eps) \cdot \chi (h^2P)\right) + \tr \left(r_\eps(P)\chi(h^2 P)\right)
\end{array}
\]
où \( r_\eps \) est un terme de reste. Le premier terme ci-dessus s’écrit plus explicitement :
\[
(\rho_\eps * 1_{[0,1]})(h^2 P) = \frac 1 \eps \int_0^1 \rho\left(\frac{h^2P – \mu}{\eps} \right) d\mu
\]
et il vient par la formule d’inversion de Fourier que l’on a :
\[
\begin{array}{ll}
\rho\left(\frac{h^2P – \mu}{\eps} \right) &= \frac 1 {2\pi} \int_{-\infty}^{+\infty} e^{it\left(\frac{h^2P – \mu}{\eps} \right)} \hat \rho(t) dt \\
&= \frac \eps {2\pi h} \int_{-\infty}^{+\infty} e^{\frac{it} h (h^2P – \mu)} \hat \rho(t/T) dt
\end{array}
\]
où \( T = h/\eps \). On a donc besoin de :

  • a) Comprendre \( e^{\frac{it}h(h^2P – \mu)} \) pour des valeurs \( t = O(T) \) ;
  • b) Contrôler le reste \( r_\eps \).

Pour la partie b) on utilise aussi l’étude de \( \rho((\eps^{-1}(h^2 P – \mu)) \) : on prend une fonction \( \rho \) centrée en 0 de sorte qu’il existe un \( \delta > 0 \) tel que \( \rho(\lambda) > c \) pour \( |\lambda| \le \delta \) et encore
\[
\rho(\eps^{-1}(\lambda – \mu)) > c \text{ pour } |\lambda – \mu| < \eps\delta.
\]
Ceci permet de contrôler efficacement le reste.

On veut maintenant étudier :
\[
\tr\left( \rho\left(\frac{h^2 P – \mu}\eps \right) \chi(h^2 P) \right) = \frac \eps{2\pi} \int_{-\infty}^{+\infty} \tr\left( e^{\frac {it} h (h^2 P – \mu)} \chi(h^2 P) \right) \hat \rho(t/T) dt ;
\]
on remarque que l’opérateur \( \chi(h^2 P) e^{\frac {it} h (h^2 P – \mu)} \) est à trace vu que \( \chi(h^2 P) \) de rang fini. En particulier il a (par des théorèmes généraux) un noyau intégral \( K \), c’est à dire une fonction lisse sur \( M\times M \) telle que
\[
\chi(h^2 P) e^{\frac {it} h (h^2 P – \mu)} \phi(x) = \int_M K(x,y)f(y) d\mathrm{vol}(y).
\]
On a alors :
\[
\tr\left( \chi(h^2 P) e^{\frac {it} h (h^2 P – \mu)} \right) = \int_M K(x,x) dx.
\]
Pour les valeurs \( t = O(T) \) on a une approximation pour \( K \) de la forme suivante (\( n = \dim M \)):
\[
K(x, y) \sim h^{-\frac{3n} 2} \int_{T^*M} e^{ih^{-1}\Phi(t,x,y,z,\zeta)} A_h(t,x,y,z,\zeta) \, d(z,\zeta)
\]
(l’intégrale est prise pour la mesure naturelle sur le cotangent \( T^*M \)).

On a donc au final une expression de la forme :
\[
\tr\left(\chi(h^2 P)\rho_\eps(h^2 P) \right) \sim h^{-\frac{3n} 2} \int_{-\infty}^{+\infty} \int_M \int_{T^*M} e^{\frac{i\Phi(t,x,x,\zeta)} h} A_h(t,x,x,z,\zeta) \, d(z,\zeta) \, dx \, \hat\rho(t/T) dt
\]
et le côté droit peut s’étudier à l’aide de la méthode de phase stationnaire. Cette dernière donne un développement asymptotique de la forme :
\[
\int_{\RR^d} e^{i\frac {F(Y)} h}A(Y) dY \sim h^{\frac d 2} \sum_{Y_c} \frac{e^{\frac i h F(Y_c)}} {\det(F »(Y_c)/2\pi i)^{1/2}} A(Y_c),
\]
où la somme prort sur les points critiques de la fonction \( F \) (les points où la différentielle s’annule). Dans le cas ci-dessus ces points critiques sont liés aux longueurs des géodésiques fermées sur \( M \) ; en particulier, en considérant \( h \) tel que \( T^{-1} \) soit borné et \( T < \mathrm{inj}(M) \) on peut obtenir la loi de Weyl avec le terme d'erreur \( O(\lambda^{(n-1)/2}) \).

Références

Lien avec le spectre des longueurs :

Métriques aléatoires

A la fin de l’exposé la possibilté d’obtenir de meilleurs termes d’erreurs dans la formule de Weyl en moyennant sur des ensembles de métriques a été évoquée, quelques travaux sur le même thème mais dans des directions différentes.

  • Y. Canzani, D. Jakobson and J. Toth. « On the distribution of propagated Schrodinger eigenfunctions. » Jour. of Spectral Theory 4 (2) (2014), 283-307.
  • Y. Canzani, D. Jakobson and I. Wigman. « Scalar curvature and Q-curvature of random metrics. » Journal of Geometric Analysis, Volume 24, Issue 4 (2014), 1982-2019. DOI 10.1007/s12220-013-9406-9

(Ces articles sont disponibles sur la page web de D. Jakobson : http://www.math.mcgill.ca/jakobson/mypapers.html.)

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