Introduction au chaos quantique : le théorème de Shnirelman (Jean-Marc Bouclet)

\( \def \RR{\mathbb{R}} \) \( \def \vol{\mathrm{vol}} \) \( \def \op{\mathrm{op}} \)

Théorème de Shnirelman : Soit \( (M, g) \) une variété riemannienne compacte et \( (e_j)_{j\ge 0} \) une base propre orthonormée pour le Laplacien \( \Delta_g \) :
\[
-\Delta_g e_j = \lambda_j e_j, \quad 0 = \lambda_0 < \lambda_1 \le \ldots \le \lambda_j \le \ldots .
\]
Si le flot géodésique de \( M \) est ergodique alors il existe une suite d'indices \( j_k \) de densité 1 (i.e. \( |\{ k :\: j_k \le N \}| /N \to 1 \) quand \( N \to +\infty \)) telle que la suite de mesures \( |e_{j_k}|^2 d\vol_g \) converge faiblement vers le volume normalisé \( d\vol_g/\vol_g(M) \) ; c'est-à-dire que pour toute fonction \( \psi \in C(M) \) on a :
\[
\int_M f(x)|e_{j_k}(x)|^2 d\vol_g(x) \underset{k \to +\infty}{\to} \frac{\int_M fd\vol_g}{\vol(M)}.
\]

Ce théorème a été annoncé (sans preuve) par Shnirelman en 1974 ; la première démonstration en a été donnée par Steve Zelditch (publiée en 1987) suivie par une autre dûe à Yves Colin de Verdière (publiée en 1985).

Sur la sphère \( \mathbb S^n \) (dont le flot géodésique n’est pas du tout ergodique) il existe des suites de fonctions propres (qui ne sont pas de densité 1) qui ne satifont pas à la conclusion du théorème. Par exemples les fonctions :
\[
Q_k(x) = C_k \mathrm{Re}(x_1 + x_2)^k
\]
où \( c_k \sim k^{(n-1)/4} \), qui sont des fonctions propres normalisées de valeur propre \( k(k + n – 1) \), se concentrent sur la géodésique fermée \( \{x_1 = x_2 = 0 \} \cap \mathbb S^n \) : en effet, en-dehors du plan \( \{ x_1 = x_2 = 0 \} \) elles décroiossent exponetiellement, uniformément sur les compacts.

Flot géodésique et ergodicité

Un exemple simple de flot hamiltonien

Soit \( H \) le fonction définie sur \( \RR^{2n} \) par
\[
H(x, \xi) = \frac{|\xi|^2} 1 + \frac{|x|^2} 2.
\]
Les équations différentielles :
\[
\overset{\circ}{x} = \frac{\partial H}{\partial \xi}(x, \xi), \: \overset{\circ}{\xi} = \frac{\partial H}{\partial x}(x, \xi)
\]
définissent un flot \( \Phi_H^t, t \in \RR \) sur \( \RR^{2N} \) vérifiant \( H \circ \Phi_H^t = H \) (on peut voir que l’on a explicitement :
\[
\Phi_H^t(y, \eta) = (\cos(t) y + \sin(t) \eta, -\sin(t) y + \cos(t) \eta)
\]
pour \( (y, \eta) \in \RR^{2n} \)) qui est ke flot hamiltonien associé à \( H \).

Le flot géodésique comme flot hamiltonien

On définit la fonction \( H \) sur le fibré cotangent \( T^* M \) par \( H(x, \xi) = |\xi|^2 \) où \( |\cdot| \) est la norme induite sur \( T^* M \) par \( g \), donnée en coordonnées par :
\[
\left| \sum_{j=1}^n \xi_j dx_j \right|^2 = \sum_{i,j = 1}^n g^{ij}(x)\xi_i \xi_j
\]
où \( (g^{ij}) \) est la matrice inverse de la matrice de \( g \) dans les coordonnées \( x_j \).

On peut associer à \( H \) un champ de vecteurs \( X_H \) sur \( T^* M \) défini par :
\[
X_H = \sum_j \left( \frac{\partial H}{\partial \xi_j} \partial x_j + \frac{\partial H}{\partial x_j} \partial \xi_j \right)
\]
et le flot \( \Phi_H^t \) de ce champ conserve \( H \).

Proposition : Si \( M \) est compacte (sans bord) alors le flot \( \Phi_H \) est défini à tout temps \( t \).

Les géodésiques (paramétrées à vitesse constante) de \( M \) sont les images par la projection \( T^* M \to M \) des trajectoires du flot \( \Phi_H \).

Mesure de Liouville

Le fibré cotangent \( T^* M \) est naturellement muni d’une mesure \( |dx~ d\xi | \) dont l’expression en coordonnées est simplement \( dx_1 \ldots dx_n d\xi_1 \ldots d\xi_n\).

Définition : Soit \( S^* M = H^{-1}( \{ 1 \} ) \) le fibré unitaire cotangent de \( M \) ; la mesure de Liouville \( dL_g \) sur \( S^* M \) est la mesure induite par \( |dx~d\xi| \) sur ce dernier.

Cette définition signifie que \( dL_g \) est l’unique mesure telle que l’on ait \( |dx~d\xi| = |\cdot|^{n-1}d|\cdot|~ dL_g \), autrement dit que pour toute fonction \( f \in C_0(T^* M) \) on a :
\[
\iint_{T^*M} f~|dx~d\xi| = \int_0^{+\infty} \int_{S^* M} f(\rho\omega)~dL_g(\omega)\rho^{n – 1}~d\rho.
\]

Ergodicité

Définition : On dit que le flot géodésique est ergodique sur \( M \) si les seuls sous-ensembles boréliens de \( S^* M \) invariants par \( \Phi_H^t \) sont de mesure nulle ou pleine.

On remarque que la définition de l’ergodicité ne dépend que de la classe de la mesure de Liouville. On utilisera l’ergodicité principalement à travers le résultat suivant.

Théorème ergodique de Birkhoff : Si le flot \( \Phi^t \) est ergodique pour la mesure \( dL_g \), alors pour toute fonction \( f \in C(S^* M) \) on a :
\[
\frac 1 T \int_0^T f(\Phi^t (\omega))~dt \underset{T \to +\infty}{\to} \frac{\int_{S^* M} f~dL_g}{\vol(S^* M)}
\]
pour presque tout \( \omega \in S^* M \).

Lien entre fonctions propres et flot géodésique

Le théorème se reformule de la manière suivante : pour toute fonction \( \psi \in C(M) \) d’intégrale nulle sur \( M \) on veut démontrer qu’il existe une suite \( j_k \) de densité 1 telle que l’on ait
\[
\int_M \psi e_{j_k} \cdot \overline{e_{j_k}} d\vol_g \underset{k \to +\infty}{\to} 0.
\]
Le côté gauche est égal au produit scalaire \( \langle e_j, \psi e_j \rangle_{L^2} \), et pour démontrer le théorème de Shnirelman on prouve la limite :
\[
\frac 1 N \sum_{j=1}^N \left| \langle e_j, \psi e_j \rangle_{L^2} \right| \underset{N \to +\infty}{\to} 0.
\]

Soit \( U(t) \) l’opérateur unitaire \( e^{-it\Delta_g} \) ; vu que \( e_j \) est une fonction propre du laplacien on a :
\[
\langle e_j, \psi e_j \rangle = \langle e^{it\lambda_j} e_j, \psi e^{it\lambda_j} e_j \rangle = \langle U(t)e_j, \psi U(t) e_j \rangle
\]
et donc finalement \( \langle e_j, \psi e_j \rangle = \langle e_j, U(-t) \psi U(t) e_j \rangle \). On écrit \( \Lambda_N = h^{-2} \) et on choisit une fonction lisse \( \varphi \) approximant \( 1_{[0,1]} \), de sorte que pour tout \( j \le N \) on ait \( \varphi(-h^2\Delta_g)e_j = e_j \). Il suit que l’on a
\[
\langle e_j, \psi e_j \rangle = \langle e_j, (U(-t)\psi\varphi(-h^2 _Delta_g) U(t)) e_j \rangle.
\]
A ce moment on utilise le fait qu’il existe une application (quantification pseudo-différentielle) :
\[
\op_h : C_0^\infty(T^* M) \to \mathcal B\left( L^2(M) \right)
\]
vérifiant les égalités approchées :
\[
U(t) \op_h(a) U(-t)) = \op_h(a \circ \Phi_H^t) + O(h)
\]
et :
\[
\psi \cdot \varphi(-h^2\Delta_g) = \op_h(\psi \cdot \varphi \circ H) + O(h).
\]
(à partir d’ici ne pas faire confiance aux notes) On a \( (\psi \cdot \varphi \circ H) \circ \Phi_H^t \to 0 \) presque partout et en analysant l’interversion de limites \( T \to +\infty \) et \( N \to +\infty \) on peut parvenir à utiliser ceci pour démontrer le résultat souhaité.

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