\( \def \RR{\mathbb{R}} \) \( \def \vol{\mathrm{vol}} \) \( \def \op{\mathrm{op}} \)
Dans le dernier exposé on avait vu les deux résultats suivants :
- Théorème de Shnirelman : si \( M \) est une variété riemannienne compacte dont ke flot géodésique est ergodique alors pour toute base propre orthonormée pour le Laplacien, une sous-suite de densité 1 des fonctions propres converge faiblement vers la mesure de volume de \( M \) ;
- A l’opposé, sur les sphères il existe des suites de fonctions propres dont les distributions se concentrent sur une géodésique fermée.
Ces résultats se placent dans une problématique plus générale : sur quels sous-ensembles vivent les fonctions propres quand les valeurs propres tendent vers l’infini?
Dans cet exposé on va présenter des outils pour l’étude de cette question.
Mécanique classique | Mécanique quantique | |
---|---|---|
Espace des phases | Fibré tangent \( T^*M \) | Espace de Hilbert \( L^2(M) \) |
Etats | Vecteurs tangents \( (x, \xi ) \in T^* M\) | Fonction \( \psi \in L^2(M) \) |
Hamiltonien/observables | Fonctions \( H \in C^\infty(T^*M) \) (par exemple \( H(x, \xi) = | \xi |^2 \)) | Opérateurs sur \( L^2(M) \) (par exemple \( -\Delta \) ou \( -h^2 \Delta \)) |
Dynamique | Flot hamiltonien \( \Phi_H^t \) (par exemple flot géodésique) | par example : \( e^{-it\Delta} \) ou \( e^{-ish\Delta} \) |
En quoi le laplacien \( \Delta \) est-il une quantification du hamiltonien \( H \)? Une première intuition est donnée par le calcul symbolique suivant :
\[
H \left( x, \frac h i \partial_x \right) = -h^2 \sum_{i,j} g^{ij}(x) \partial_i \partial_j = -h^2 \Delta + O(h)
\]
Proposition/Définition : Il existe une famille d’applications
\[
\op_h : C_0^\infty(T^*M) \to \mathcal B(L^2(M))
\]
indexées par \( h \in ]0, 1] \), vérifiat les propriétés suivantes :
- La norme d’opérateur \( \| \op_h(a) \|_{L^2(M)} \) est bornée indépendamment de \( h \) ;
- On a \[ \op_h(ab) = \op_h(a)\op_h(b) + O(h) \] (où le \( O \) est entendu au sens de la norme d’opérateur) ;
- On a \[ \op_h(a)^* = \op_h(\overline a) + O(h) ; \]
- On a \[ e^{-ish \Delta} \op_h(a) e^{ish\Delta} = \op_h(a \circ \Phi_H^s) + O(h) ; \]
- (Calcul fonctionnel approché) Si \( f \in C_0^\infty(\RR) \) on a \[ f(-h^2\Delta) = \op_h(f \circ H) + O(h). \]
Une telle famille est appelée une quantification (du système classique \( T^*M, \Phi_H^t ) \).
Si \( M = \mathbb R^n \) on peut construire explicitement une telle quantification, et on obtient en fait des formules exactes (sans \( O(h) \)) dans tous les points ci-dessus. Il suffit de poser :
\[
\op_h(a) \cdot u(x) = \int_{\RR^n} e^{i x \cdot \xi} a(x, h\xi) \hat u(\xi)~d\xi.
\]
Si \( M \) est une variété recouverte par des ouverts de cartes dont chacun est homéomorphe à \( \mathbb R^n \) on peut alors recoller les quantifications en utilisant une partition de l’unité : les changements de cartes introduisent les termes d’erreur en \( O(h) \). Cette quantification dépend du choix des cartes : en général il n’y a pas de quantification canonique sur une variété riemannienne.
Remarque : On peut voir la quantification comme une déformation non-commutative de l’algèbre \( C_0^\infty(M) \otimes_{\mathbb C} \mathbb C[[h]] \).
Utilité de la quantification
On a vu la semaine dernière que l’existence des applications \( \op_h \) permet de s’attaquer au problème de la répartition sur \( M \) des fonctions propres, en prenant \( h = \lambda_j^{-1/2} \) quand \( j \to +\infty \). La quantification premet aussi de relever le problème à l’espace des phases \( T^*M \), par le procédé suivant : on pose
\[
\nu_h(a) = \langle \phi_h, \op_h(a) \cdot \phi_h \rangle ;
\]
si la quantification est positive (c’est-à-dire que si \( a \ge 0 \) alors on a \( \nu_h(a) \ge 0 \) pour tout \( h \in ]0, 1] \)) alors \( \nu_h \) est une mesure de Radon de masse totale 1 sur \( T^*M \) (en général les quantifications peuvent ne pas être positives). Dans ce cas cette mesure est appelée relèvement microlocal de la mesure \( |\phi_h^2 | d\vol_g \).
Même si la quantification n’est pas positive on peut s’intéresser aux limites de la suite \( \nu_h \) dans l’espace des distributions sur \( T^* M \). Ces dernières vérifient toujours les propriétés suivantes :
- Ce sont toujours des mesures de Radon de masse 1 ;
- Elles sont toujours supportées sur le fibré unitaire tangent \( S^* M \).
Le deuxième point est une conséquence à peu près immédiate des propriétés de la quantification : supposons que \( a \in C_0^\infty(T^* M) \) soit nulle sur \( S^* M = H^{-1}(\{1\}) \). On peut alors écrire \( a = (f \circ H) \cdot a \) où \( f : \RR \to \RR \) est une fonction nulle au voisinage de \( 1 \). Il suit que :
\[
\begin{array}{cc}
\op_h(a) &= \op_h(f \circ H)\op_h(a) + O(h) \\
&= f(-h^2\Delta) \op_h(a) + O(h)
\end{array}
\]
et vu que les opérateurs \( \op_h(a) \) sont uniformément bornés en norme on voit que le côté droit tend vers \( 0 \) quand \( h \to 0 \).
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