Introduction au chaos quantique (2/2) (Jean-Marc Bouclet)

\( \def \RR{\mathbb{R}} \) \( \def \vol{\mathrm{vol}} \) \( \def \op{\mathrm{op}} \)

Dans le dernier exposé on avait vu les deux résultats suivants :

  • Théorème de Shnirelman : si \( M \) est une variété riemannienne compacte dont ke flot géodésique est ergodique alors pour toute base propre orthonormée pour le Laplacien, une sous-suite de densité 1 des fonctions propres converge faiblement vers la mesure de volume de \( M \) ;
  • A l’opposé, sur les sphères il existe des suites de fonctions propres dont les distributions se concentrent sur une géodésique fermée.

Ces résultats se placent dans une problématique plus générale : sur quels sous-ensembles vivent les fonctions propres quand les valeurs propres tendent vers l’infini?

Dans cet exposé on va présenter des outils pour l’étude de cette question.

Mécanique classique Mécanique quantique
Espace des phases Fibré tangent \( T^*M \) Espace de Hilbert \( L^2(M) \)
Etats Vecteurs tangents \( (x, \xi ) \in T^* M\) Fonction \( \psi \in L^2(M) \)
Hamiltonien/observables Fonctions \( H \in C^\infty(T^*M) \) (par exemple \( H(x, \xi) = | \xi |^2 \)) Opérateurs sur \( L^2(M) \) (par exemple \( -\Delta \) ou \( -h^2 \Delta \))
Dynamique Flot hamiltonien \( \Phi_H^t \) (par exemple flot géodésique) par example : \( e^{-it\Delta} \) ou \( e^{-ish\Delta} \)

En quoi le laplacien \( \Delta \) est-il une quantification du hamiltonien \( H \)? Une première intuition est donnée par le calcul symbolique suivant :
\[
H \left( x, \frac h i \partial_x \right) = -h^2 \sum_{i,j} g^{ij}(x) \partial_i \partial_j = -h^2 \Delta + O(h)
\]

Proposition/Définition : Il existe une famille d’applications
\[
\op_h : C_0^\infty(T^*M) \to \mathcal B(L^2(M))
\]
indexées par \( h \in ]0, 1] \), vérifiat les propriétés suivantes :

  • La norme d’opérateur \( \| \op_h(a) \|_{L^2(M)} \) est bornée indépendamment de \( h \) ;
  • On a \[ \op_h(ab) = \op_h(a)\op_h(b) + O(h) \] (où le \( O \) est entendu au sens de la norme d’opérateur) ;
  • On a \[ \op_h(a)^* = \op_h(\overline a) + O(h) ; \]
  • On a \[ e^{-ish \Delta} \op_h(a) e^{ish\Delta} = \op_h(a \circ \Phi_H^s) + O(h) ; \]
  • (Calcul fonctionnel approché) Si \( f \in C_0^\infty(\RR) \) on a \[ f(-h^2\Delta) = \op_h(f \circ H) + O(h). \]

Une telle famille est appelée une quantification (du système classique \( T^*M, \Phi_H^t ) \).

Si \( M = \mathbb R^n \) on peut construire explicitement une telle quantification, et on obtient en fait des formules exactes (sans \( O(h) \)) dans tous les points ci-dessus. Il suffit de poser :
\[
\op_h(a) \cdot u(x) = \int_{\RR^n} e^{i x \cdot \xi} a(x, h\xi) \hat u(\xi)~d\xi.
\]
Si \( M \) est une variété recouverte par des ouverts de cartes dont chacun est homéomorphe à \( \mathbb R^n \) on peut alors recoller les quantifications en utilisant une partition de l’unité : les changements de cartes introduisent les termes d’erreur en \( O(h) \). Cette quantification dépend du choix des cartes : en général il n’y a pas de quantification canonique sur une variété riemannienne.

Remarque : On peut voir la quantification comme une déformation non-commutative de l’algèbre \( C_0^\infty(M) \otimes_{\mathbb C} \mathbb C[[h]] \).

Utilité de la quantification

On a vu la semaine dernière que l’existence des applications \( \op_h \) permet de s’attaquer au problème de la répartition sur \( M \) des fonctions propres, en prenant \( h = \lambda_j^{-1/2} \) quand \( j \to +\infty \). La quantification premet aussi de relever le problème à l’espace des phases \( T^*M \), par le procédé suivant : on pose
\[
\nu_h(a) = \langle \phi_h, \op_h(a) \cdot \phi_h \rangle ;
\]
si la quantification est positive (c’est-à-dire que si \( a \ge 0 \) alors on a \( \nu_h(a) \ge 0 \) pour tout \( h \in ]0, 1] \)) alors \( \nu_h \) est une mesure de Radon de masse totale 1 sur \( T^*M \) (en général les quantifications peuvent ne pas être positives). Dans ce cas cette mesure est appelée relèvement microlocal de la mesure \( |\phi_h^2 | d\vol_g \).

Même si la quantification n’est pas positive on peut s’intéresser aux limites de la suite \( \nu_h \) dans l’espace des distributions sur \( T^* M \). Ces dernières vérifient toujours les propriétés suivantes :

  1. Ce sont toujours des mesures de Radon de masse 1 ;
  2. Elles sont toujours supportées sur le fibré unitaire tangent \( S^* M \).

Le deuxième point est une conséquence à peu près immédiate des propriétés de la quantification : supposons que \( a \in C_0^\infty(T^* M) \) soit nulle sur \( S^* M = H^{-1}(\{1\}) \). On peut alors écrire \( a = (f \circ H) \cdot a \) où \( f : \RR \to \RR \) est une fonction nulle au voisinage de \( 1 \). Il suit que :
\[
\begin{array}{cc}
\op_h(a) &= \op_h(f \circ H)\op_h(a) + O(h) \\
&= f(-h^2\Delta) \op_h(a) + O(h)
\end{array}
\]
et vu que les opérateurs \( \op_h(a) \) sont uniformément bornés en norme on voit que le côté droit tend vers \( 0 \) quand \( h \to 0 \).

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