Arbre du groupe PGL2 et opérateurs de Hecke

\( \def \RR{\mathbb{R}} \) \( \def \CC{\mathbb{C}} \) \( \def \ZZ{\mathbb{Z}} \) \( \def \QQ{\mathbb{Q}} \) \( \def \HH{\mathbb{H}} \) \( \def \NN{\mathbb{N}} \) \( \def \vol{\mathrm{vol}} \) \( \def \tr{\mathrm{tr}\,} \) \( \def \bs{\backslash} \) \( \def \SO{\mathrm{SO}} \) \( \def \SL{\mathrm{SL}} \) \( \def \PGL{\mathrm{PGL}} \) \( \def \PO{\mathrm{PO}} \) \( \def \ram{\mathrm{Ram}} \) \( \def \P{\mathrm P} \)

Constructions de l’arbre

On va démontrer le résultat suivant, un cas particulier élémentaire d’un théorème dû à Bruhat–Tits en toute généralité (pour des groupes réductifs sur des corps locaux ultramétriques ; le cas scindé est dû à Iwahori–Matsumoto).

Théorème : Soit \( p \) un nombre premier. Il existe une action transitive de \( \PGL_2(\QQ_p) \) sur un arbre régulier de valence \( p + 1 \) dans laquelle les stabilisateurs de sommets sont les conjugués de \( \PGL_2(\ZZ_p) \).

Actions sur les sous-groupes compact-ouverts

Soient \( G \) un groupe localement compact et \( K \) un sous-groupe compact-ouvert. Si \( g_1, g_2 \in G \) on pose :
\[
d(g_1K, g_2K) = \log \left| K^{g_1} / \left( K^{g_1} \cap K^{g_2} \right) \right|.
\]
Cette fonction n’est a priori pas une pseudo-distance sur \( G/K \) (elle pourrait ne pas être symétrique). Cependant dans les cas où \( K \) agit (par conjugaison) transitivement sur les sous-groupes \( K \cap K^g \) d’indice (fini) donné on obtient bien une pseudo-distance. En effet la symétrie de \( d \) est alors immédiate. L’inégalité triangulaire est déduite en observant que si \( g_1, g_2, g_3 \in G \) alors on a :
\[
\begin{array}{cc}
d(g_1K, g_3K) &= |K^{g_1}/(K^{g_3} \cap K^{g_1})| \\
&\le |K^{g_1}/(K^{g_3} \cap K^{g_1} \cap K^{g_2})| \le |K^{g_1}/(K^{g_3} \cap K^{g_2})| \cdot |K^{g_2}/(K^{g_2} \cap K^{g_1})|
\end{array}
\]
et on voit de plus qu’une condition nécessaire pour l’égalité est \( (K^{g_2} \cap K^{g_1}) \supset (K^{g_3} \cap K^{g_1}) \). Si en plus on a \( N_G(K) = K \) alors \( d \) est une distance sur \( X = G/K \) et l’action de \( G \) est isométrique.

Ces deux conditions sont vérifiées dans le cas où \( G = \PGL_2(\QQ_p) \) et \( K = \PGL_2(\ZZ_p) \) : ceci suit de la décomposition d’Iwasawa \( G = K A^+ K \) où
\[
A^+ = \left\{ \left( \begin{array}{cc} p^n & 0 \\ 0 & 1 \end{array} \right) : n \in \NN \right\} = a^\NN, \, a = \left( \begin{array}{cc} p & 0 \\ 0 & 1 \end{array} \right).
\]
En effet on voit ainsi que tous les sous-groupes \( K \cap K^g \) sont conjugués à l’un des \( K \cap K^{a^n} \) qui sont d’indice \( p^{n-1}(p + 1) \). On modifie légèrement la distance pour obtenir des valeurs entières : on pose \( d(K^{g_1}, K^{g_2}) = n \) si \( g_1^{-1}g_2 \in K a^n K \).

L’espace \( X \) est alors un espace uniquement géodésique : si \( g \in k a^n K \) la géodésique de \( K \) à \( gK \) est le chemin \( (K, kaK, \ldots, ka^{n-1}K, ka^n K = gK) \). Enfin, on voit que c’est un arbre : soient \( g_1 \in k_1 a^{n_1} K,\, g_2 \in k_2 a^{n_2} K\) et \( n \in \NN \) maximal tel que \( k_2^{-1}k_1 \in (K \cap K^{a^n}) \). Le triangle de sommets \( K, g_1K, g_2K \) est le tripode de centre \( k_1 a^n K = k_2 a^n K\). La valence de \( X \) est donnée par le cardinal \( |K / (K \cap K^a)| = p + 1 \).

Remarques

  1. Cette construction est en fait celle du graphe de Cayley–Abels du groupe \( G \) par rapport à l’ensemble générateur compact \( K \cup \{ a \} \).
  2. On obtient une action de \( \SL_2(\QQ_p) \) sur \( X \) via l’application \( \SL_2(\QQ)_p \to \PGL_2(\QQ_p) \). Cette action a pour stabilisateurs les groupes \( g\SL_2(\ZZ_p)g^{-1}, g \in \mathrm{GL}_2(\QQ_p) \) et a deux orbites sur les sommets (correspondant aux sommets \( K \) et \( aK \)).

Action sur les réseaux

Un \( \ZZ_p \)-réseau ou simplement réseau d’un \( \QQ_p \)-espace vectoriel \( V \) est un sous-\( \ZZ_p \)-module de \( V \) qui est libre et de rang maximal (nécessairement égal à \( \dim(V) \)). Le groupe \( GL(V) \) agit transitivement sur ces réseaux (ceci suit du fait que l’anneau \( \ZZ_p \) est principal), et le groupe \( \PGL(V) \) agit transitivement sur les classes d’homothétie.

On suppose dans la suite que \( V = \QQ_P^2 \), \( G = \PGL(V) = \PGL_2(\QQ_p) \) et \( K = \PGL_2(\ZZ_p) \). Soit \( Y \) l’ensemble des classes d’homothétie de réseaux dans \( V \) et \( X = G/K\). Alors on a une bijection \( X \to Y \) donnée par \( gK \mapsto [g\ZZ_P^2] \), et \( Y \) est donc muni d’une structure d’arbre \( G \)-invariante venant de celle de \( X \) construite ci-dessus.

On peut calculer la distance entre deux classes d’homothétie de réseaux directement dans \( Y \), comme suit : si \( L_1, L_2 \) sont deux réseaux de \( V \) il existe un \( \lambda \in \QQ_p^\times \) de valuation minimale tel que \( \lambda L_2 \subset L_1 \) (ceci suit de la discrétion de la valuation et du fait que \( L_1, L_2 \) sont compacts et ouverts). On a alors \( |L_1/(\lambda L_2)| = p^n \) pour un \( n \in \NN \) et on pose \( d([L_1], [L_2]) = n \). Il est alors facile de vérifier que \( d \) est une distance \( G \)-invariante et que \( Y \) est un arbre simplicial (on vérifie qu’entre deux sommets il n’existe qu’un seul chemin sans retour en arrière).

Remarques

  1. Une construction équivalente est de remplacer les réseaux par les normes ultramétriques sur \( V \) (dont ils sont les boules unités).
  2. Cette construction se généralise en dimensions supérieures pour donner les immeubles de Bruhat–Tits des groupes projectifs.

Opérateurs de Hecke sur les surfaces arithmétiques

Groupes \( S \)-arithmétiques et espaces associés

Pour cette section on fixe \( A \) une algèbre de quaternions sur \( \QQ \) et \( \mathcal O \) un ordre maximal de \( A \). On suppose que \( A \) n’est pas ramifiée à la place infinie (i.e. \( A \otimes_\QQ \RR \cong \mathrm M_2(\RR) \)). on identifiera donc \( G_\infty = \P A^\times \) avec \( \PGL_2(\RR) \), un sous groupe maximal \( K_\infty \) à \( \PO(2) \) et le quotient \( X_\infty = G_\infty / K_\infty \) au plan hyperbolique \( \HH^2 \).

On note \( S = \ram_f(A) \) qui est donc un ensemble fini de nombres premiers. Soit \( p \not \in S \) un nombre premier ; soient \( G_p = \P(A\otimes \QQ_p)^\times \), (A\( K_p = \P\mathcal (O \otimes \ZZ_p)^\times \). Il existe un isomorphisme \( \phi : G_p \to \PGL_2(\QQ_p) \) tel que \( \phi(K_p) = \PGL_2(\ZZ_p \) ; on note \( X_p = G/K \) muni de la structure d’arbre de \( PGL_2(\QQ_p) / \PGL_2(\ZZ_p) \).

Soient \( K_p’ \) un sous-groupe d’indice fini dans \( K_p \) et \( \Gamma = A^\times \cap K_p’ \). Alors \( \Gamma \) est un sous-groupe d’indice fini dans le réseau arithmétique \( \P \mathcal O^\times \subset \PGL_2(\RR) \). Par exemple, si \( A = M_2(\QQ) \) et \( K_p’ = \ker \left( \PGL_2(\ZZ_p) \to \PGL_2(\ZZ/(p^n)) \right) \) on a :
\[
\Gamma = \left\{ \left( \begin{array}{cc} a & b \\ c & d \end{array} \right) \in \PGL_2(\ZZ) : a, d = 1 \pmod p, \, b, c = 0 \pmod p \right\}.
\]
On appelle de tels \( \Gamma \) des sous-groupes de congruence de \( \P\mathcal O^\times \).

Les groupes qui nous intéresserons ici sont les sous-groupes \( S \)-arithmétiques des groupes \( G_\infty \times G_{p_1} \times \cdots \times G_{p_m} \). Ce sont les groupes de la forme
\[
\P(A\otimes \ZZ[p_1^{-1}, \ldots, p_m^{-1}])^\times \cap K’
\]
où \( p_1, \ldots, p_m \) sont des nombres premiers en-dehors de \( \ram_f(A) \) et \( K’ \) est un sous-groupe d’indice fini dans \( K_{p_1} \times \cdots \times K_{p_m} \). Un théorème de Borel–Harish-Chandra affirme que ces groupes sont toujours des réseaux, cocompacts si \( A \not= M_2(\QQ) \).

Théorème (approximation faible) : Le groupe \( \P(A\otimes \ZZ[p_1^{-1}, \ldots, p_m^{-1}])^\times \) est dense dans \( G_{p_1} \times \cdots \times G_{p_m} \).

Soit \( X = X_\infty \times X_{p_1} \times \cdots \times X_{p_m} \), \( \Gamma_{\infty, p_1, \ldots, p_m} \) un sous-groupe \( S \)-arithmétique et \( \Gamma \) le groupe arithmétique \( \Gamma_{\infty, p_1, \ldots, p_m} \cap \P\mathcal A^\times \). On a alors d’après le théorème précédent
\[
\Gamma_{\infty, p_1, \ldots, p_m} \bs X = \Gamma \bs X_\infty.
\]
En effet, l’approximation faible implique que \( \Gamma_{\infty, p_1, \ldots, p_m} / \Gamma = X_{p_1, \ldots, p_m} \) et il suit que l’on peut définir une application \( (x_\infty, x_{p_1, \ldots, p_m}) \mapsto (\gamma^{-1} x_\infty) \) où \( x_{p_1, \ldots, p_m} = \gamma (K_{p_1} \times K_{p_m}) \) dont on vérifie immédiatement que c’est une bijection et qu’elle coïncide avec la projection \( \Gamma_{\infty, p_1, \ldots, p_m} \bs X \to \Gamma \bs X_\infty \).

Construction des opérateurs de Hecke

On conserve les notations de la section précédente. Pour \( p \not \in S \) on définit un opérateur \( \delta_p \) sur les fonctions sur \( X_p \) par :
\[
\delta_p f(x) = \sum_{y:\: d(x,y) = 1} f(y).
\]
Cet opérateur commute évidemment à l’action de \( G_p \) sur \( X_p \). Il définit donc un opérateur \( T_p \) sur la surface arithmétique \( S = \Gamma \bs X_\infty = \Gamma_{p, \infty} \bs X_\infty \times X_p \). cet opérateur est borné et autoadjoint pour le produit scalaire \( L^2 \) sur \( C^\infty(S) \). De plus, si \( q \) est un nombre premier en-dehors de \( S \cup \{p \} \) alors on a \( T_p \circ T_q = T_q \circ T_p \).